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LA FORTUNE DES ROUGON.

le dos. Elle marchait sur les genoux, arrachant activement l’ivraie qu’elle jetait dans un couffin. Le jeune homme ne voyait d’elle que ses bras nus, brûlés par le soleil, s’allongeant à droite, à gauche, pour saisir quelque herbe oubliée. Il suivait complaisamment ce jeu rapide des bras de la paysanne, goûtant un singulier plaisir à les voir si fermes et si prompts. Elle s’était légèrement redressée en ne l’entendant plus travailler, et avait baissé de nouveau la tête, avant qu’il eût pu même distinguer ses traits. Ce mouvement effarouché le retint. Il se questionnait sur cette femme, en garçon curieux, sifflant machinalement et battant la mesure avec un ciseau à froid qu’il tenait à la main, lorsque le ciseau lui échappa. L’outil tomba du côté du Jas-Meiffren, sur la margelle du puits, et alla rebondir à quelques pas de la muraille. Silvère le regarda, se penchant, hésitant à descendre. Mais il paraît que la paysanne examinait le jeune homme du coin de l’œil, car elle se leva sans mot dire, et vint ramasser le ciseau à froid qu’elle tendit à Silvère. Alors ce dernier vit que la paysanne était une enfant. Il resta surpris et un peu intimidé. Dans les clartés rouges du couchant, la jeune fille se haussait vers lui. Le mur, à cet endroit, était bas, mais la hauteur se trouvait encore trop grande. Silvère se coucha sur le chaperon, la petite paysanne se dressa sur la pointe des pieds. Ils ne disaient rien, ils se regardaient d’un air confus et souriant. Le jeune homme eût d’ailleurs voulu prolonger l’attitude de l’enfant. Elle levait vers lui une adorable tête, de grands yeux noirs, une bouche rouge, qui l’étonnaient et le remuaient singulièrement. Jamais il n’avait vu une fille de si près ; il ignorait qu’une bouche et des yeux pussent être si plaisants à regarder. Tout lui paraissait avoir un charme inconnu, le fichu de couleur, le corset blanc, la jupe de cotonnade bleue, que tiraient les bretelles, tendues par le mouvement des épaules. Son regard glissa le long du bras qui lui présentait l’outil ; jusqu’au