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LA FORTUNE DES ROUGON.

pleura sa foi morte, son rêve de justice évanoui. Il y en eut qui, en injuriant la France entière de sa lâcheté, jetèrent leurs armes et allèrent s’asseoir sur le bord des routes ; ils disaient qu’ils attendraient là les balles de la troupe, pour montrer comment mouraient des républicains.

Bien que ces hommes n’eussent plus devant eux que l’exil ou la mort, il y eut peu de désertions. Une admirable solidarité unissait ces bandes. Ce fut contre les chefs que la colère se tourna. Ils étaient réellement incapables. Des fautes irréparables avaient été commises ; et maintenant, lâchés, sans discipline, à peine protégés par quelques sentinelles, sous les ordres d’hommes irrésolus, les insurgés se trouvaient à la merci des premiers soldats qui se présenteraient.

Ils passèrent deux jours encore à Orchères, le mardi et le mercredi, perdant le temps, aggravant leur situation. Le général, l’homme au sabre, que Silvère avait montré à Miette sur la route de Plassans, hésitait, pliait sous la terrible responsabilité qui pesait sur lui. Le jeudi, il jugea que décidément la position d’Orchères était dangereuse. Vers une heure, il donna l’ordre du départ, il conduisit sa petite armée sur les hauteurs de Sainte-Roure. C’était là, d’ailleurs, une position inexpugnable, pour qui aurait su la défendre. Sainte-Roure étage ses maisons sur le flanc d’une colline ; derrière la ville, d’énormes blocs de rochers ferment l’horizon ; on ne peut monter à cette sorte de citadelle que par la plaine des Nores, qui s’élargit au bas du plateau. Une esplanade, dont on a fait un cours, planté d’ormes superbes, domine la plaine. Ce fut sur cette esplanade que les insurgés campèrent. Les otages eurent pour prison une auberge, l’hôtel de la Mule-Blanche, située au milieu du cours. La nuit se passa lourde et noire. On parla de trahison. Dès le matin, l’homme au sabre, qui avait