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VI


Rougon, vers cinq heures du matin, osa enfin sortir de chez sa mère. La vieille s’était endormie sur une chaise. Il s’aventura doucement jusqu’au bout de l’impasse Saint-Mittre. Pas un bruit, pas une ombre. Il poussa jusqu’à la porte de Rome. Le trou de la porte, ouverte à deux battants, béante, s’enfonçait dans le noir de la ville endormie. Plassans dormait à poings fermés, sans paraître se douter de l’imprudence énorme qu’il commettait en dormant ainsi les portes ouvertes. On eût dit une cité morte. Rougon, prenant confiance, s’engagea dans la rue de Nice. Il surveillait de loin les coins des ruelles ; il frissonnait, à chaque creux de porte, croyant toujours voir une bande d’insurgés lui sauter aux épaules. Mais il arriva au cours Sauvaire sans mésaventure. Décidément, les insurgés s’étaient évanouis dans les ténèbres, comme un cauchemar.

Alors Pierre s’arrêta un instant sur le trottoir désert. Il poussa un gros soupir de soulagement et de triomphe. Ces gueux de républicains lui abandonnaient donc Plassans. La ville lui appartenait, à cette heure : elle dormait comme