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LA FORTUNE DES ROUGON.

Miette eut un frais éclat de rire. Elle prit le jeune homme par le cou et l’embrassa bruyamment.

À l’endroit où commencent les haies, la longue avenue d’arbres se terminait alors par deux ormes, deux colosses plus gigantesques encore que les autres. Les terrains s’étendent au ras de la route, nus, pareils à une large bande de laine verte, jusqu’aux saules et aux bouleaux de la rivière. Des derniers ormes au pont, il y avait, d’ailleurs, à peine 300 mètres. Les amoureux mirent un bon quart d’heure pour franchir cette distance. Enfin, malgré toutes leurs lenteurs, ils se trouvèrent sur le pont. Ils s’arrêtèrent.

Devant eux, la route de Nice montait le versant opposé de la vallée ; mais ils ne pouvaient en voir qu’un bout assez court, car elle fait un coude brusque, à un demi-kilomètre du pont, et se perd entre des coteaux boisés. En se retournant, ils aperçurent l’autre bout de la route, celui qu’ils venaient de parcourir, et qui va en ligne droite de Plassans à la Viorne. Sous ce beau clair de lune d’hiver, on eût dit un long ruban d’argent que les rangées d’ormes bordaient de deux lisérés sombres. À droite et à gauche, les terres labourées de la côte faisaient de larges mers grises et vagues, coupées par ce ruban, par cette route blanche de gelée, d’un éclat métallique. Tout en haut, brillaient, au ras de l’horizon, pareilles à des étincelles vives, quelques fenêtres encore éclairées du faubourg. Miette et Silvère, pas à pas, s’étaient éloignés d’une grande lieue. Ils jetèrent un regard sur le chemin parcouru, frappés d’une muette admiration par cet immense amphithéâtre qui montait jusqu’au bord du ciel, et sur lequel des nappes de clartés bleuâtres coulaient comme sur les degrés d’une cascade géante. Ce décor étrange, cette apothéose colossale se dressait dans une immobilité et dans un silence de mort. Rien n’était d’une plus souveraine grandeur.

Puis les jeunes gens, qui venaient de s’appuyer contre un