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LA FORTUNE DES ROUGON.

avait réveillé les dormeurs ; ils s’étaient rendus, voyant toute résistance impossible. Seulement, dans la hâte aveugle qu’ils avaient d’en finir, trois des hommes de Roudier avaient déchargé leurs armes en l’air, comme pour répondre à la détonation d’en haut, sans bien savoir ce qu’ils faisaient. Il y a de ces moments où les fusils partent d’eux-mêmes dans les mains des poltrons.

Cependant Rougon fit lier solidement les poings de Macquart avec les embrasses des grands rideaux verts du cabinet. Celui-ci ricanait, pleurant de rage.

— C’est cela, allez toujours… balbutiait-il. Ce soir ou demain, quand les autres reviendront, nous réglerons nos comptes !

Cette allusion à la bande insurrectionnelle fit passer un frisson dans le dos des vainqueurs. Rougon surtout éprouva un léger étranglement. Son frère, qui était exaspéré d’avoir été surpris comme un enfant par ces bourgeois effarés, qu’il traitait d’abominables pékins, à titre d’ancien soldat, le regardait, le bravait avec des yeux luisants de haine.

— Ah ! j’en sais de belles, j’en sais de belles ! reprit-il sans le quitter du regard. Envoyez-moi donc un peu devant la Cour d’assises pour que je raconte aux juges des histoires qui feront rire.

Rougon devint blême. Il eut une peur atroce que Macquart ne parlât et ne le perdît dans l’estime des messieurs qui venaient de l’aider à sauver Plassans. D’ailleurs, ces messieurs, tout ahuris de la rencontre dramatique des deux frères, s’étaient retirés dans un coin du cabinet, en voyant qu’une explication orageuse allait avoir lieu. Rougon prit une décision héroïque. Il s’avança vers le groupe et dit d’un ton très-noble :

— Nous garderons cet homme ici. Quand il aura réfléchi à sa situation, il pourra nous donner des renseignements utiles.