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LES ROUGON-MACQUART.

Lorsqu’ils arrivèrent, le salon jaune resplendissait. Félicité s’était multipliée. Tout le monde se trouvait là, Sicardot, Granoux, Roudier, Vuillet, les marchands d’huile, les marchands d’amandes, la bande entière. Seul, le marquis avait prétexté ses rhumatismes ; il partait, d’ailleurs, pour un petit voyage. Ces bourgeois tachés de sang blessaient ses délicatesses, et son parent, le comte de Valqueyras, devait l’avoir prié d’aller se faire oublier quelque temps dans son domaine de Corbière. Le refus de M. de Carnavant vexa les Rougon. Mais Félicité se consola en se promettant d’étaler un plus grand luxe ; elle loua deux candélabres, elle commanda deux entrées et deux entremets de plus, afin de remplacer le marquis. La table, pour plus de solennité, fut dressée dans le salon. L’hôtel de Provence avait fourni l’argenterie, la porcelaine, les cristaux. Dès cinq heures, le couvert se trouva mis, pour que les invités, en arrivant, pussent jouir du coup d’œil. Et il y avait, aux deux bouts, sur la nappe blanche, deux bouquets de roses artificielles, dans des vases de porcelaine dorée, à fleurs peintes.

La société habituelle du salon, quand elle fut réunie, ne put cacher l’admiration que lui causa un pareil spectacle. Ces messieurs souriaient d’un air embarrassé en échangeant des regards sournois qui signifiaient clairement : « Ces Rougon sont fous, ils jettent leur argent par la fenêtre. » La vérité était que Félicité, en allant faire les invitations, n’avait pu retenir sa langue. Tout le monde savait que Pierre était décoré et qu’on allait le nommer quelque chose ; ce qui allongeait les nez singulièrement, selon l’expression de la vieille femme. Puis, disait Roudier : « Cette noiraude se gonflait par trop. » Au jour des récompenses, la bande de ces bourgeois qui s’étaient rués sur la république expirante, en s’observant les uns les autres, en se faisant gloire chacun de donner un coup de dent plus