Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/275

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— J’en ai assez, je ne peux plus.

Pauline avait pris une bouteille.

— C’est bien, dit-elle. Si tu ne manges pas ta viande, tu n’auras pas ton petit verre de quinquina.

Alors, les yeux luisants, fixés sur le verre plein, l’enfant surmonta sa répugnance ; puis, elle le vida, elle le jeta dans son gosier, avec le coup de poignet déjà savant de l’ivrogne. Mais elle ne s’en allait point, elle finit par supplier Mademoiselle de lui laisser emporter la bouteille, disant que ça la dérangeait trop, de venir chaque jour ; et elle promettait de coucher avec, de la cacher si bien dans ses jupes, que son père et sa mère ne pourraient la lui boire. Mademoiselle refusa nettement.

— Pour que tu la vides d’un coup, avant d’avoir descendu la côte, dit Lazare. C’est de toi qu’on se méfie maintenant, petit sac à vin !

Le banc se dégarnissait, les enfants le quittaient un à un, pour prendre de l’argent, du pain, de la viande. Quelques-uns, après avoir reçu leur part, voulaient s’attarder devant le bon feu ; mais Véronique, qui venait de s’apercevoir qu’on lui avait mangé la moitié de sa botte de carottes, les renvoyait, les rejetait impitoyablement sous la pluie : avait-on jamais vu ! des carottes encore pleines de terre ! Bientôt, il ne resta que le fils Cuche, morne et alourdi dans l’attente du sermon de Mademoiselle. Elle l’appela, lui parla longuement à demi-voix, finit par lui remettre quand même le pain et les cent sous de tous les samedis ; et il s’en alla, avec son dandinement de bête mauvaise et têtue, ayant promis de travailler, mais bien décidé à n’en rien faire.