Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/344

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dont il écoutait comme autrefois le mouvement d’horloge, qui lui semblait aller en se ralentissant. Le cœur ne battait plus si vite, les autres organes devenaient également paresseux, bientôt tout s’arrêterait sans doute ; et il suivait avec des frissons cette diminution de la vie, que l’âge fatalement amenait. C’étaient des pertes de lui-même, la destruction continue de son corps : ses cheveux tombaient, il lui manquait plusieurs dents, il sentait ses muscles se vider, comme s’ils retournaient à la terre. L’approche de la quarantaine l’entretenait dans une mélancolie noire, maintenant la vieillesse serait vite là, qui achèverait de l’emporter. Déjà, il se croyait malade de partout, quelque chose allait casser certainement, ses journées se passaient dans l’attente fiévreuse d’une catastrophe. Puis, il voyait mourir autour de lui, et chaque fois qu’il apprenait le décès d’un camarade, il recevait un coup. Était-ce possible, celui-ci venait de partir ? mais il avait trois ans de moins, il était bâti pour durer cent ans ! et celui-là encore, comment avait-il pu faire son compte ? un homme si prudent, qui pesait jusqu’à sa nourriture ! Pendant deux jours, il ne pensait pas à autre chose, stupéfait de la catastrophe, se tâtant lui-même, interrogeant ses maladies, finissant par chercher querelle aux pauvres morts. Il éprouvait le besoin de se rassurer, il les accusait d’être morts par leur faute : le premier avait commis une imprudence impardonnable ; quant au second, il avait succombé à un cas extrêmement rare, dont les médecins ignoraient même le nom. Mais il tâchait vainement d’écarter le spectre importun, il entendait toujours en lui grincer les rouages de la machine près de se détraquer, il glissait sans arrêt possible sur cette pente