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LA TERRE.

— Quarante pistoles.

D’abord, il prit la chose en farce, il plaisanta, s’adressa à l’homme, toujours à l’écart et muet.

— Dis, vieux ! ta bourgeoise est avec, à ce prix-là ?

Mais, tout en goguenardant, il examinait de près la vache, la trouvait telle qu’il la faut pour être une bonne laitière, la tête sèche, aux cornes fines et aux grands yeux, le ventre un peu fort sillonné de grosses veines, les membres plutôt grêles, la queue mince, plantée très haut. Il se baissa, s’assura de la longueur des pis et de l’élasticité des trayons, placés carrément et bien percés. Puis, appuyé d’une main sur la bête, il entama le marché, en tâtant d’un air machinal les os de la croupe :

— Quarante pistoles, hein ? c’est pour rire… Voulez-vous trente pistoles ?

Et sa main s’assurait de la force et de la bonne disposition des os. Elle descendit ensuite, se coula entre les cuisses, à cet endroit où la peau nue, d’une belle couleur safranée, annonçait un lait abondant.

— Trente pistoles, ça va-t-il ?

— Non, quarante, répondit la paysanne.

Il tourna le dos, il revint, et elle se décida à causer.

— C’est une bonne bête, allez, tout à fait. Elle aura deux ans à la Trinité et elle vêlera dans quinze jours… Pour sûr qu’elle ferait bien votre affaire.

— Trente pistoles, répéta-t-il.

Alors, comme il s’éloignait, elle jeta un coup d’œil à son mari, elle cria :

— Tenez ! c’est pour m’en aller… Voulez-vous à trente-cinq, tout de suite ?

Il s’était arrêté, il dépréciait la vache. Ça n’était pas bâti, ça manquait de reins, enfin un animal qui avait souffert et qu’on nourrirait deux ans à perte. Ensuite, il prétendit qu’elle était blessée au pied, ce qui n’était pas vrai. Il mentait pour mentir, avec une mauvaise foi étalée, dans l’espoir de fâcher et d’étourdir la vendeuse. Mais elle haussait les épaules.

— Trente pistoles.