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LA TERRE.

— C’est la Palmyre qui a une attaque.

— Je l’ai bien vue tomber, de là-bas.

— Ah ! mon Dieu !

Et tous, autour d’elle, dans l’effroi mystérieux dont la maladie frappe le paysan, la regardaient, sans trop oser s’approcher. Elle était allongée, la face au ciel, les bras en croix, comme crucifiée sur cette terre, qui l’avait usée si vite à son dur labeur, et qui la tuait. Quelque vaisseau avait dû se rompre, un filet de sang coulait de sa bouche. Mais elle s’en allait plus encore d’épuisement, sous des besognes de bête surmenée, si sèche au milieu du chaume, si réduite à rien, qu’elle n’y était qu’une loque, sans chair, sans sexe, exhalant son dernier petit souffle dans la fécondité grasse des moissons.

Cependant, la Grande, l’aïeule, qui l’avait reniée et qui jamais ne lui parlait, s’avança enfin.

— Je crois bien qu’elle est morte.

Et elle la poussa de sa canne. Le corps, les yeux ouverts et vides dans l’éclatante lumière, la bouche élargie au vent de l’espace, ne remua pas. Sur le menton, le filet de sang se caillait. Alors, la grand’mère, qui s’était baissée, ajouta :

— Bien sûr qu’elle est morte… Vaut mieux ça que d’être à la charge des autres.

Tous, saisis, ne bougeaient plus. Est-ce qu’on pouvait la toucher, sans aller chercher le maire ? Ils parlaient d’abord à voix basse, puis ils se remirent à crier, pour s’entendre.

— Je vas quérir mon échelle, qui est là-bas contre la meule, finit par dire Delhomme. Ça servira de civière… Un mort, faut jamais le laisser par terre, ce n’est pas bien.

Mais, quand il revint avec l’échelle, et qu’on voulut prendre des gerbes et y faire un lit pour le cadavre, Buteau grogna.

— On te le rendra, ton blé !

— J’y compte, fichtre !

Lise, un peu honteuse de cette ladrerie, ajouta deux javelles comme oreiller, et l’on y déposa le corps de Pal-