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LES ROUGON-MACQUART.

myre, pendant que Françoise, dans une sorte de rêve, étourdie de cette mort qui tombait au milieu de sa première besogne avec l’homme, ne pouvait détacher les yeux du cadavre, très triste, étonnée surtout que cela eût jamais pu être une femme. Elle demeura ainsi que Fouan, à garder, en attendant le départ ; et le vieux ne disait rien non plus, avait l’air de penser que ceux qui s’en vont sont bien heureux.

Quand le soleil se coucha, à l’heure où l’on rentre, deux hommes vinrent prendre la civière. Le fardeau n’était pas lourd, ils n’avaient guère besoin d’être relayés. Pourtant, d’autres les accompagnèrent, tout un cortège se forma. On coupa à travers champs, pour éviter le détour de la route. Sur les gerbes, le corps se raidissait, et des épis, derrière la tête, retombaient et se balançaient, aux secousses cadencées des pas. Maintenant, il ne restait au ciel que la chaleur amassée, une chaleur rousse, appesantie dans l’air bleu. À l’horizon, de l’autre côté de la vallée du Loir, le soleil, noyé dans une vapeur, n’épandait plus sur la Beauce qu’une nappe de rayons jaunes, au ras du sol. Tout semblait de ce jaune, de cette dorure des beaux soirs de moisson. Les blés encore debout avaient des aigrettes de flamme rose ; les chaumes hérissaient des brins de vermeil luisant ; et, de toutes parts, à l’infini, bossuant cette mer blonde, les meules moutonnaient, paraissaient grandir démesurément, flambantes d’un côté, déjà noires de l’autre, jetant des ombres qui s’allongeaient, jusqu’aux lointains perdus de la plaine. Une grande sérénité tomba, il n’y eut plus, très haut, qu’un chant d’alouette. Personne ne parlait, parmi les travailleurs harassés, qui suivaient avec une résignation de troupeau, la tête basse. Et l’on n’entendait qu’un petit bruit de l’échelle, sous le balancement de la morte, rapportée dans le blé mûr.

Ce soir-là, Hourdequin régla le compte de ses moissonneurs, qui avaient fini la besogne convenue. Les hommes emportaient cent vingt francs, les femmes soixante, pour leur mois de travail. C’était une année bonne, pas trop de