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LES ROUGON-MACQUART.

perdait, il perdait aussi la terre. La pensée brusque de cette conséquence acheva de l’enrager.

— Voyons, papa, voyons, Delhomme, ça ne vous dégoûte pas, cette gamine à ce vieux bougre, qui n’est pas même du pays, qui vient on ne sait d’où, après avoir roulé partout sa bosse ?… Un menuisier manqué, qui s’est fait paysan, parce que, bien sûr, il avait à cacher quelque sale affaire !

Toute sa haine de l’ouvrier des villes éclatait.

— Et après ? si je veux d’elle et si elle veut de moi ! répéta Jean, qui se contenait et qui s’était promis, par gentillesse, de la laisser conter la première leur histoire. Allons, Françoise, cause un peu.

— Mais c’est vrai ! cria Lise, qu’emportait le désir de marier sa sœur, pour s’en débarrasser, qu’as-tu à dire, s’ils se conviennent ? Elle n’a pas besoin de ton consentement, elle est bien bonne de ne pas t’envoyer promener… Tu nous embêtes à la fin !

Alors, Buteau vit que la chose allait être faite, si la jeune fille parlait. Ce qu’il redoutait surtout, c’était que, la liaison étant connue, le mariage fût regardé comme raisonnable. Justement, la Grande entrait dans la cour, suivie des Charles, qui revenaient avec Élodie. Et il les appela du geste, sans savoir encore ce qu’il dirait. Puis, la face gonflée, il trouva, il gueula, en menaçant du poing sa femme et sa belle-sœur :

— Nom de Dieu de vaches !… Oui, toutes les deux, des vaches, des salopes !… Voulez-vous savoir ? je couche avec les deux ! et si c’est pour ça qu’elles se foutent de moi !… Avec les deux, je vous dis, les putains !

Béants, les Charles reçurent les mots à la volée, en plein visage. Madame Charles se précipita, comme pour couvrir de son corps Élodie qui écoutait ; puis, la poussant vers le potager, elle cria elle-même très fort :

— Viens voir les salades, viens voir les choux… Oh ! les beaux choux !

Buteau continuait, inventant des détails, racontant que, lorsque l’une avait sa ration, c’était au tour de l’autre à se