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LES ROUGON-MACQUART.

des pièces de dix sous, voulant que ça durât, entêté dans son avarice ancienne ; et, peu à peu, il s’abandonnait aux mains de son grand vaurien de fils, chatouillé, bercé d’histoires extraordinaires, parfois secoué de larmes, si bien qu’il lâchait des deux et trois francs, tombant lui-même à la goinfrerie, se disant qu’il valait mieux tout manger de bon cœur, puisque, tôt ou tard, ce serait mangé. D’ailleurs, on devait rendre cette justice à Jésus-Christ : il partageait avec le vieux, il l’amusait au moins, s’il le volait. Au début, l’estomac attendri, il ferma les yeux sur le magot, ne tenta point de savoir : son père était libre de jouir à sa guise, on ne pouvait rien lui demander de plus, du moment qu’il payait des noces. Et des rêveries ne lui venaient sur l’argent entrevu, caché quelque part, que dans la seconde quinzaine du mois, quand les poches du vieux étaient vides. Pas un liard à en faire sortir. Il grognait contre la Trouille, qui servait des pâtées de pommes de terre sans beurre, il se serrait le ventre, en songeant que c’était bête en somme de se priver pour enfouir des sous, et qu’un jour, à la fin, faudrait le déterrer et le claquer, ce magot !

Tout de même, les soirs de misère, lorsqu’il étirait ses membres de grande rosse, il réagissait contre l’embêtement, il demeurait expansif et tempétueux, comme s’il avait bien dîné, ramenant la gaieté d’une bordée de grosse artillerie.

— Aux navets, ceux-là ! la Trouille, et du beurre, nom de Dieu !

Fouan ne s’ennuyait point, même dans ces pénibles fins de mois ; car la fille et le père se mettaient alors en campagne pour emplir la marmite ; et le vieux, entraîné, finissait par en être. Le premier jour où il avait vu la Trouille rapporter une poule, pêchée à la ligne, de l’autre côté d’un mur, il s’était fâché. Ensuite, elle l’avait fait trop rire, la seconde fois, un matin qu’elle était cachée dans les feuilles d’un arbre, laissant pendre, au milieu d’une bande de canards en promenade, un hameçon appâté de viande : un canard, brusquement, s’était jeté, avalant tout,