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LA TERRE.

aîné de quinze ans. Mais aucun autre garçon ne la demandait, pas un peut-être ne se serait risqué, à cause des histoires chez Buteau, que personne ne voulait avoir contre soi, tant on le craignait à Rognes. Puis, quoi ? elle était allée une fois avec Jean ; ça ne faisait trop rien, puisqu’il n’y avait pas eu de suite ; seulement, il était bien doux, bien honnête. Autant celui-là, du moment qu’elle n’en aimait pas d’autre et qu’elle en prenait un, n’importe lequel, pour qu’il la défendît et pour que Buteau enrageât. Elle aussi aurait un homme à elle.

Jean, lui, avait gardé une grande amitié au cœur. Son envie de l’avoir s’était calmée, et beaucoup, à la désirer si longtemps. Il ne revenait pas moins à elle très gentiment, se regardant comme son homme, puisque des promesses étaient échangées. Il avait patienté jusqu’à sa majorité, sans la contrarier dans son idée d’attendre, l’empêchant au contraire de mettre les choses contre elle, chez sa sœur. Maintenant, elle pouvait donner plus de raisons qu’il n’en fallait pour avoir les braves gens de son côté. Aussi, tout en blâmant la façon brutale dont elle était partie, lui répétait-il qu’elle tenait le bon bout. Enfin, quand elle voudrait causer du reste, il était prêt.

Le mariage fut arrêté ainsi, un soir qu’il était venu la retrouver, derrière l’étable de la Grande. Une vieille barrière pourrie s’ouvrait là, sur une impasse, et tous deux restèrent accotés, lui dehors, elle dedans, avec le ruisseau de purin qui leur coulait entre les jambes.

— Tu sais, Caporal, dit-elle la première, en le regardant dans les yeux, si ça te va encore, ça me va, à cette heure.

Il la regardait fixement, lui aussi, il répondit d’une voix lente :

— Je ne t’en reparlais plus, parce que j’aurais eu l’air d’en vouloir à ton bien… Mais tu as tout de même raison, c’est le moment.

Un silence régna. Il avait posé la main sur celle de la jeune fille, qu’elle appuyait à la barrière. Ensuite, il reprit :