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LA TERRE.

Un silence régna, solennel.

Au bout de deux grandes minutes, Grosbois dit :

— Faut vous décider pourtant… Qui est-ce qui commence ?

Personne ne bougea. La nuit augmentait, le chapeau semblait grandir dans cette ombre.

— Par rang d’âges, voulez-vous ? proposa l’arpenteur. À toi, Jésus-Christ, qui es l’aîné.

Jésus-Christ, bon enfant, s’avança ; mais il perdit l’équilibre, faillit s’étaler. Il avait enfoncé le poing dans le chapeau, d’un effort violent, comme pour en retirer un quartier de roche. Lorsqu’il tint le billet, il dut s’approcher de la fenêtre.

— Deux ! cria-t-il, en trouvant sans doute ce chiffre particulièrement drôle, car il suffoqua de rire.

— À toi, Fanny ! appela Grosbois.

Quand Fanny eut la main au fond, elle ne se pressa point. Elle fouillait, remuait les billets, les pesait l’un après l’autre.

— C’est défendu de choisir, dit rageusement Buteau, que la passion étranglait, et qui avait blêmi au numéro tiré par son frère.

— Tiens ! pourquoi donc ? répondit-elle. Je ne regarde pas, je peux bien tâter.

— Va, murmura le père, ça se vaut, il n’y en a pas plus lourd dans l’un que dans l’autre.

Elle se décida enfin, courut devant la fenêtre.

— Un !

— Eh bien ! c’est Buteau qui a le trois, reprit Fouan. Tire-le, mon garçon.

Dans la nuit croissante, on n’avait pu voir se décomposer le visage du cadet. Sa voix éclata de colère.

— Jamais de la vie !

— Comment ?

— Si vous croyez que j’accepte, ah ! non !… Le troisième lot, n’est-ce pas ? le mauvais ! Je vous l’ai assez dit, que je voulais partager autrement. Non ! non ! vous vous foutriez de moi !… Et puis, est-ce que je ne vois pas