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LES ROUGON-MACQUART.

clair dans vos manigances ? est-ce que ce n’était pas au plus jeune à tirer le premier ?… Non ! non ! je ne tire pas, puisqu’on triche !

Le père et la mère le regardaient se démener, taper des pieds et des poings.

— Mon pauvre enfant, tu deviens fou, dit Rose.

— Oh ! maman, je sais bien que vous ne m’avez jamais aimé. Vous me décolleriez la peau du corps pour la donner à mon frère… À vous tous, vous me mangeriez…

Fouan l’interrompit durement.

— Assez de bêtises, hein !… Veux-tu tirer ?

— Je veux qu’on recommence.

Mais il y eut une protestation générale. Jésus-Christ et Fanny serraient leurs billets, comme si l’on tentait de les leur arracher. Delhomme déclarait que le tirage avait eu lieu honnêtement, et Grosbois, très blessé, parlait de s’en aller, si l’on suspectait sa bonne foi.

— Alors, je veux que papa ajoute à ma part mille francs sur l’argent de sa cachette.

Le vieux, un moment étourdi, bégaya. Puis, il se redressa, s’avança, terrible.

— Qu’est-ce que tu dis ? Tu y tiens donc, à me faire assassiner, mauvais bougre ! On démolirait la maison, qu’on ne trouverait pas un liard… Prends le billet, nom de Dieu ! ou tu n’auras rien !

Buteau, le front dur d’obstination, ne recula pas devant le poing levé de son père.

— Non !

Le silence retomba, embarrassé. Maintenant, l’énorme chapeau gênait, barrant les choses, avec cet unique billet au fond, que personne ne voulait toucher. L’arpenteur, pour en finir, conseilla au vieux de le tirer lui-même. Et le vieux, gravement, le tira, alla le lire devant la fenêtre, comme s’il ne l’eût pas connu.

— Trois !… Tu as le troisième lot, entends-tu ? L’acte est prêt, bien sûr que M. Baillehache n’y changera rien, car ce qui est fait n’est pas à refaire… Et, puisque tu