Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/12

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quoi Félicité, en femme très intelligente, se désintéressait et consentait à n’être plus que la reine détrônée d’un régime déchu.

Mais il y avait encore là une haute position, environnée de toute une poésie mélancolique. Pendant dix-huit années, elle avait régné. La légende de ses deux salons, le salon jaune où avait mûri le coup d’État, le salon vert, plus tard, le terrain neutre où la conquête de Plassans s’était achevée, s’embellissait du recul des époques disparues. Elle était, d’ailleurs, très riche. Puis, on la trouvait très digne dans la chute, sans un regret ni une plainte, promenant, avec ses quatre-vingts ans, une si longue suite de furieux appétits, d’abominables manœuvres et d’assouvissements démesurés, qu’elle en devenait auguste. La seule de ses joies, maintenant, était de jouir en paix de sa grande fortune et de sa royauté passée, et elle n’avait plus qu’une passion, celle de défendre son histoire, en écartant tout ce qui, dans la suite des âges, pourrait la salir. Son orgueil, qui vivait du double exploit dont les habitants parlaient encore, veillait avec un soin jaloux, résolu à ne laisser debout que les beaux documents, cette légende qui la faisait saluer comme une majesté tombée, quand elle traversait la ville.

Elle était allée jusqu’à la porte de la chambre, elle écouta le bruit du pilon. Puis, le front soucieux, elle revint vers Clotilde.

— Que fabrique-t-il donc, mon Dieu ! Tu sais qu’il se fait le plus grand tort, avec sa drogue nouvelle. On m’a raconté que, l’autre jour, il avait encore failli tuer un de ses malades.

— Oh ! grand’mère ! s’écria la jeune fille.

Mais elle était lancée.

— Oui, parfaitement ! les bonnes femmes en disent bien d’autres… Va les questionner, au fond du faubourg.