Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/136

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elle-même, toute nue, sur la dalle de l’amphithéâtre. Le torrent fangeux avait roulé devant elle, pendant près de trois heures, et c’était la pire des révélations, la brusque et terrible vérité sur les siens, les êtres chers, ceux qu’elle devait aimer : son père grandi dans les crimes de l’argent, son frère incestueux, sa grand’mère sans scrupules, couverte du sang des justes, les autres presque tous tarés, des ivrognes, des vicieux, des meurtriers, la monstrueuse floraison de l’arbre humain. Le choc était si brutal, qu’elle ne se retrouvait pas, au milieu de la stupeur douloureuse de toute la vie apprise de la sorte, en un coup. Et, cependant, cette leçon était comme innocentée, dans sa violence même, par quelque chose de grand et de bon, un souffle d’humanité profonde, qui l’avait emportée d’un bout à l’autre. Rien de mauvais ne lui en était venu, elle s’était sentie fouettée par un âpre vent marin, le vent des tempêtes, dont on sort la poitrine élargie et saine. Il avait tout dit, parlant librement de sa mère elle-même, continuant à garder vis-à-vis d’elle son attitude déférente de savant qui ne juge point les faits. Tout dire pour tout connaître, pour tout guérir, n’était-ce pas le cri qu’il avait poussé, dans la belle nuit d’été ? Et, sous l’excès même de ce qu’il lui apprenait, elle restait ébranlée, aveuglée de cette trop vive lumière, mais le comprenant enfin, s’avouant qu’il tentait là une œuvre immense. Malgré tout, c’était un cri de santé, d’espoir en l’avenir. Il parlait en bienfaiteur, qui, du moment où l’hérédité faisait le monde, voulait en fixer les lois pour disposer d’elle, et refaire un monde heureux.

Puis, n’y avait-il donc que de la boue, dans ce fleuve débordé, dont il lâchait les écluses ? Que d’or passait, mêlé aux herbes et aux fleurs des berges ! Des centaines de créatures galopaient encore devant elle, et elle demeurait