Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/138

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Dieu ne foudroie pas les méchants, c’est qu’il voit la marche totale de son œuvre, et qu’il ne peut descendre au particulier. Le labeur qui finit recommence, la somme des vivants reste quand même admirable de courage et de besogne ; et l’amour de la vie emporte tout. Ce travail géant des hommes, cette obstination à vivre, est leur excuse, la rédemption. Alors, de très haut, le regard ne voyait plus que cette continuelle lutte, et beaucoup de bien malgré tout, s’il y avait beaucoup de mal. On entrait dans l’indulgence universelle, on pardonnait, on n’avait plus qu’une infinie pitié et une charité ardente. Le port était sûrement là, attendant ceux qui ont perdu la foi aux dogmes, qui voudraient comprendre pourquoi ils vivent, au milieu de l’iniquité apparente du monde. Il faut vivre pour l’effort de vivre, pour la pierre apportée à l’œuvre lointaine et mystérieuse, et la seule paix possible, sur cette terre, est dans la joie de cet effort accompli.

Une heure encore venait de passer, la nuit entière s’était écoulée à cette terrible leçon de vie, sans que ni Pascal ni Clotilde eussent conscience du lieu où ils étaient, ni du temps qui fuyait. Et lui, surmené depuis quelques semaines, ravagé déjà par son existence de soupçon et de chagrin, eut un frisson nerveux, comme dans un brusque réveil.

— Voyons, tu sais tout, te sens-tu le cœur fort, trempé par le vrai, plein de pardon et d’espoir ?… Es-tu avec moi ?

Mais, sous l’effrayant choc moral qu’elle avait reçu, elle-même frémissait, sans pouvoir se reprendre. C’était en elle une telle débâcle des croyances anciennes, une évolution telle vers un monde nouveau, qu’elle n’osait s’interroger et conclure. Elle se sentait désormais saisie, emportée dans la toute-puissance de la vérité. Elle la subissait et n’était pas convaincue.