Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/203

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notaire Martine, vous n’ignorez pas que j’ai mes rentes, à part.

Elle dit alors, avec la voix blanche des avares, que hante le cauchemar d’un désastre toujours menaçant :

— Et si vous ne les aviez plus ?

Ébahi, Pascal la contempla, se contenta de répondre par un grand geste vague, car la possibilité d’un malheur n’entrait même pas dans son esprit. Il pensa que l’avarice lui tournait la tête ; et il s’en amusa, le soir, avec Clotilde.

Dans Plassans, les cadeaux furent aussi la cause de commérages sans fin. Ce qui se passait à la Souleiade, cette flambée d’amour si particulière et si ardente, s’était ébruitée, avait franchi les murs, on ne savait trop comment, par cette force d’expansion qui alimente la curiosité des petites villes, toujours en éveil. La servante, certainement, ne parlait pas ; mais son air suffisait peut-être, des paroles volaient quand même, on avait sans doute guetté les deux amoureux, par-dessus les murs. Et l’achat des cadeaux était survenu alors, prouvant tout, aggravant tout. Quand le docteur, de bon matin, battait les rues, entrait chez les bijoutiers, les lingères, les modistes, des yeux se braquaient aux fenêtres, ses moindres emplettes étaient épiées, la ville entière savait, le soir, qu’il avait donné encore une capeline de foulard, des chemises garnies de dentelle, un bracelet orné de saphirs. Et cela tournait au scandale, cet oncle qui avait débauché sa nièce, qui faisait pour elle des folies de jeune homme, qui la parait comme une sainte Vierge. Les histoires les plus extraordinaires commençaient à circuler, on se montrait la Souleiade du doigt, en passant.

Mais ce fut surtout la vieille madame Rougon qui entra dans une indignation exaspérée. Elle avait cessé d’aller chez son fils, en apprenant que le mariage de Clotilde avec