Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/205

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sommes-nous pas libres ? Nous n’avons de devoir envers personne.

— Pas de devoir ! et envers moi, donc ! et envers la famille ! Voilà encore qu’on va nous traîner dans la boue, si tu crois que ça me fait plaisir !

Tout d’un coup, son emportement s’apaisa. Elle la regardait, la trouvait adorable. Au fond, ce qui s’était passé ne la surprenait pas autrement, elle s’en moquait, elle avait le simple désir que cela se terminât d’une façon correcte, afin de faire taire les mauvaises langues. Et, conciliante, elle s’écria :

— Alors, mariez-vous ! Pourquoi ne vous mariez-vous pas ?

Clotilde demeura un instant surprise. Ni elle ni le docteur n’avaient eu cette idée du mariage. Elle se remit à sourire.

— Est-ce que nous en serons plus heureux, grand’mère ?

— Il ne s’agit pas de vous, il s’agit encore une fois de moi, de tous les vôtres… Comment peux-tu, ma chère enfant, plaisanter avec ces choses sacrées ? Tu as donc perdu toute vergogne ?

Mais la jeune fille, sans se révolter, toujours très douce, eut un geste large, comme pour dire qu’elle ne pouvait avoir la honte de sa faute. Ah ! mon Dieu ! quand la vie charriait tant de corruption et tant de faiblesse, quel mal avaient-ils fait, sous le ciel éclatant, de se donner le grand bonheur d’être l’un à l’autre ? Du reste, elle n’y mettait aucune obstination raisonnée.

— Sans doute, nous nous marierons, puisque tu le désires, grand’mère. Il fera ce que je voudrai… Mais plus tard, rien ne presse.

Et elle gardait sa sérénité rieuse. Puisqu’ils vivaient hors du monde, pourquoi s’inquiéter du monde ?