Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/217

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cela, certes, je le veux encore ! C’est peut-être ma dernière faiblesse, mais je ne puis voir souffrir, la souffrance me jette hors de moi, comme une cruauté monstrueuse et inutile de la nature… Je ne soigne plus que pour empêcher la souffrance.

— Maître, alors, demanda-t-elle, si tu ne veux plus guérir, il ne faudra plus tout dire, car la nécessité affreuse de montrer les plaies n’avait d’autre excuse que l’espoir de les fermer.

— Si, si ! il faut savoir, savoir quand même, et ne rien cacher, et tout confesser des choses et des êtres !… Aucun bonheur n’est possible dans l’ignorance, la certitude seule fait la vie calme. Quand on saura davantage, on acceptera certainement tout… Ne comprends-tu pas que vouloir tout guérir, tout régénérer, c’est une ambition fausse de notre égoïsme, une révolte contre la vie, que nous déclarons mauvaise, parce que nous la jugeons au point de vue de notre intérêt ? Je sens bien que ma sérénité est plus grande, que j’ai élargi, haussé mon cerveau, depuis que je suis respectueux de l’évolution. C’est ma passion de la vie qui triomphe, jusqu’à ne pas la chicaner sur son but, jusqu’à me confier totalement, à me perdre en elle, sans vouloir la refaire, selon ma conception du bien et du mal. Elle seule est souveraine, elle seule sait ce qu’elle fait et où elle va, je ne puis que m’efforcer de la connaître, pour la vivre comme elle demande à être vécue… Et, vois-tu, je la comprends seulement depuis que tu es à moi. Tant que je ne t’avais pas, je cherchais la vérité ailleurs, je me débattais, dans l’idée fixe de sauver le monde. Tu es venue, et la vie est pleine, le monde se sauve à chaque heure par l’amour, par le travail immense et incessant de tout ce qui vit et se reproduit, à travers l’espace… La vie impeccable, la vie toute-puissante, la vie immortelle !