Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/268

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ainsi sur le pavé. Moi aussi, j’ai le cœur gros, en songeant que tu es là et que tu souffres. Seulement, il vaut mieux souffrir que de faire une chose dont on garderait le continuel remords… Je ne veux pas, je ne peux pas.

Ils quittèrent la rue de la Banne, ils s’engagèrent dans le vieux quartier.

— J’aime mieux mille fois m’adresser aux étrangers… Peut-être avons-nous des amis encore, mais ils ne sont que parmi les pauvres.

Et, résigné à l’aumône, David continua sa marche au bras d’Abisaïg, le vieux roi mendiant s’en alla de porte en porte, appuyé à l’épaule de la sujette amoureuse, dont la jeunesse restait son unique soutien. Il était près de six heures, la forte chaleur tombait, les rues étroites s’emplissaient de monde ; et, dans ce quartier populeux, où ils étaient aimés, on les saluait, on leur souriait. Un peu de pitié se mêlait à l’admiration, car personne n’ignorait leur ruine. Pourtant, ils semblaient d’une beauté plus haute, lui tout blanc, elle toute blonde, ainsi foudroyés. On les sentait unis et confondus davantage, la tête toujours droite et fiers de leur éclatant amour, mais frappés par le malheur, lui ébranlé, tandis qu’elle, d’un cœur vaillant, le redressait. Des ouvriers en bourgeron passèrent, qui avaient plus d’argent dans leur poche. Personne n’osa leur offrir le sou qu’on ne refuse pas à ceux qui ont faim. Rue Canquoin, ils voulurent s’arrêter chez Guiraude : elle était morte à son tour, la semaine auparavant. Deux autres tentatives qu’ils firent, échouèrent. Désormais, ils en étaient à rêver quelque part un emprunt de dix francs. Ils battaient la ville depuis trois heures.

Ah ! ce Plassans, avec le cours Sauvaire, la rue de Rome et la rue de la Banne qui le partageaient en trois quartiers, ce Plassans aux fenêtres closes, cette ville