Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/296

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voudrais… Tu entends, épouse-moi. Je serai ta femme, et je resterai. Une femme ne quitte pas son mari.

Mais il ne répondit que par un geste, comme s’il eut craint que sa voix ne le trahît, et qu’il n’acceptât, dans un cri de gratitude, cet éternel lien qu’elle lui proposait. Son geste pouvait signifier une hésitation, un refus. À quoi bon ce mariage in extremis, quand tout s’effondrait ?

— Sans doute, reprit Félicité, ce sont de beaux sentiments. Tu arranges ça très bien dans ta petite tête. Mais ce n’est pas le mariage qui vous donnera des rentes ; et, en attendant, tu lui coûtes cher, tu es pour lui la plus lourde des charges.

L’effet de cette phrase fut extraordinaire sur Clotilde, qui revint violemment vers Pascal, les joues empourprées, les yeux envahis de larmes.

— Maître, maître ! est-ce vrai, ce que grand’mère vient de dire ? est-ce que tu en es à regretter l’argent que je coûte ici ?

Il avait blêmi encore, il ne bougea pas, dans son attitude écrasée. Mais, d’une voix lointaine, comme s’il s’était parlé à lui-même, il murmura :

— J’ai tant de travail ! je voudrais tant reprendre mes dossiers, mes manuscrits, mes notes, et terminer l’œuvre de ma vie !… Si j’étais seul, peut-être pourrais-je tout arranger. Je vendrais la Souleiade, oh ! un morceau de pain, car elle ne vaut pas cher. Je me mettrais, avec tous mes papiers, dans une petite chambre. Je travaillerais du matin au soir, je tâcherais de n’être pas trop malheureux.

Mais il évitait de la regarder ; et, dans l’agitation où elle se trouvait, ce n’était pas ce balbutiement douloureux qui pouvait lui suffire. Elle s’épouvantait de seconde en seconde, car elle sentait bien que l’inévitable allait être dit.