Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/297

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— Regarde-moi, maître, regarde-moi en face… Et, je t’en conjure, sois brave, choisis donc entre ton œuvre et moi, puisque tu parais dire que tu me renvoies pour mieux travailler !

La minute de l’héroïque mensonge était venue. Il leva la tête, il la regarda en face, bravement ; et, avec un sourire de mourant qui veut la mort, retrouvant sa voix de divine bonté :

— Comme tu t’animes !… Ne peux-tu donc faire ton devoir simplement, ainsi que tout le monde ?… J’ai beaucoup à travailler, j’ai besoin d’être seul ; et toi, chérie, tu dois rejoindre ton frère. Va donc, tout est fini.

Il y eut un terrible silence de quelques secondes. Elle le regardait toujours fixement, dans l’espoir qu’il faiblirait. Disait-il bien la vérité, ne se sacrifiait-il pas pour qu’elle fût heureuse ? Un instant, elle en eut la sensation subtile, comme si un souffle frissonnant, émané de lui, l’avait avertie.

— Et c’est pour toujours que tu me renvoies ? tu ne me permettrais pas de revenir demain ?

Il resta brave, il sembla répondre d’un nouveau sourire qu’on ne s’en allait pas pour revenir ainsi ; et tout se brouilla, elle n’eut plus qu’une perception confuse, elle put croire qu’il choisissait le travail, sincèrement, en homme de science chez qui l’œuvre l’emporte sur la femme. Elle était redevenue très pâle, elle attendit encore un peu, dans l’affreux silence ; puis, lentement, de son air de tendre et absolue soumission :

— C’est bien, maître, je partirai quand tu voudras, et je ne reviendrai que le jour où tu m’auras rappelée.

Alors, ce fut le coup de hache entre eux. L’irrévocable était accompli. Tout de suite, Félicité, surprise de n’avoir pas eu à parler davantage, voulut qu’on fixât la date de départ. Elle s’applaudissait de sa ténacité, elle croyait