Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/31

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— Tu crois qu’il s’est remis à fabriquer sa liqueur ? demanda Clotilde.

— Dame ! ça ne peut être que ça. Vous savez bien qu’il en perd le manger et le boire, quand ça le prend.

Alors, toute la contrariété de la jeune fille s’exhala en une plainte basse.

— Ah ! mon Dieu ! mon Dieu !

Et, tandis que Martine montait faire sa chambre, elle prit une ombrelle au portemanteau du vestibule, elle sortit manger son petit pain dehors, désespérée, ne sachant plus à quoi occuper son temps, jusqu’à midi.

Il y avait déjà près de dix-sept ans que le docteur Pascal, résolu à quitter sa maison de la ville neuve, avait acheté la Souleiade, une vingtaine de mille francs. Son désir était de se mettre à l’écart, et aussi de donner plus d’espace et plus de joie à la fillette que son frère venait de lui envoyer de Paris. Cette Souleiade, aux portes de la ville, sur un plateau qui dominait la plaine, était une ancienne propriété considérable, dont les vastes terres se trouvaient réduites à moins de deux hectares, par suite de ventes successives, sans compter que la construction du chemin de fer avait emporté les derniers champs labourables. La maison elle-même avait été à moitié détruite par un incendie, il ne restait qu’un seul des deux corps de bâtiment, une aile carrée, à quatre pans comme on dit en Provence, de cinq fenêtres de façade, couverte en grosses tuiles roses. Et le docteur qui l’avait achetée toute meublée, s’était contenté de faire réparer et compléter les murs de l’enclos, pour être tranquille chez lui.

D’ordinaire, Clotilde aimait passionnément cette solitude, ce royaume étroit qu’elle pouvait visiter en dix minutes et qui gardait pourtant des coins de sa grandeur passée. Mais, ce matin-là, elle y apportait une colère sourde. Un moment, elle s’avança sur la terrasse, aux