Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/364

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l’armoire vide et toute grande ouverte, je dirai bien haut que c’est moi qui ai purifié la maison… Quand il n’y aura plus une seule ligne d’écriture, ah ! mon Dieu, je me moque du reste !

Pendant près de deux heures, la cheminée flamba. Elles étaient retournées à l’armoire, elles avaient vidé les deux autres planches, il ne restait que le bas, le fond, qui semblait bourré d’un pêle-mêle de notes. Grisées par la chaleur de ce feu de joie, essoufflées, en sueur, elles cédaient à une fièvre sauvage de destruction. Elles s’accroupissaient, se noircissaient les mains à repousser les débris mal consumés, si violentes dans leurs gestes, que des mèches de leurs cheveux gris pendaient sur leurs vêtements en désordre. C’était un galop de sorcières, activant un bûcher diabolique, pour quelque abomination, le martyre d’un saint, la pensée écrite brûlée en place publique, tout un monde de vérité et d’espérance détruit. Et la grande clarté, qui, par instants, pâlissait la lampe, embrasait la vaste pièce, faisait danser au plafond leurs ombres démesurées.

Mais, comme elle voulait vider le bas de l’armoire, ayant déjà brûlé, à poignées, le pêle-mêle de notes qui s’entassait là, Félicité eut un cri étranglé de triomphe.

— Ah ! les voici !… Au feu ! au feu !

Elle venait enfin de tomber sur les dossiers. Tout au fond, derrière le rempart des notes, le docteur avait dissimulé les chemises de papier bleu. Et ce fut alors la folie de la dévastation, une rage qui l’emporta, les dossiers ramassés à pleines mains, lancés dans les flammes, emplissant la cheminée d’un ronflement d’incendie.

— Ils brûlent, ils brûlent !… Enfin, ils brûlent donc !… Martine, encore celui-ci, encore celui-ci… Ah ! quel feu, quel grand feu !

Mais la servante s’inquiétait.