Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/365

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— Madame, prenez garde, vous allez allumer la maison… Vous n’entendez pas ce grondement ?

— Ah ! qu’est-ce que ça fait ? tout peut bien brûler !… Ils brûlent, ils brûlent, c’est si beau !… Encore trois, encore deux, et le dernier qui brûle !

Elle riait d’aise, hors d’elle, effrayante, lorsque des morceaux de suie enflammée tombèrent. Le ronflement devenait terrible, le feu était dans la cheminée, qu’on ne ramonait jamais. Cela parut encore l’exciter, tandis que la servante, perdant la tête, se mit à crier et à courir autour de la pièce.

Clotilde dormait à côté de Pascal mort, dans le calme souverain de la chambre. Il n’y avait pas eu d’autre bruit que la vibration légère du timbre de la pendule sonnant trois heures. Les cierges brûlaient d’une longue flamme immobile, pas un frisson ne remuait l’air. Et, du fond de son lourd sommeil sans rêve, elle entendit pourtant comme un tumulte, un galop grandissant de cauchemar. Puis, quand elle eut rouvert les yeux, elle ne comprit pas d’abord. Où était-elle ? pourquoi ce poids énorme qui écrasait son cœur ? La réalité lui revint dans une épouvante : elle revit Pascal, elle entendit les cris de Martine, à côté ; et elle se précipita, angoissée, pour savoir.

Mais, dès le seuil, Clotilde saisit toute la scène, d’une netteté sauvage : l’armoire grande ouverte, et complètement vide, Martine affolée par la peur du feu, sa grand’mère Félicité radieuse, poussant du pied dans les flammes les derniers fragments des dossiers. Une fumée, une suie volante emplissait la salle, où le grondement de l’incendie mettait comme un râle de meurtre, ce galop dévastateur qu’elle venait d’entendre du fond de son sommeil.

Et le cri qui lui jaillit des lèvres fut celui que Pascal avait poussé lui-même, la nuit d’orage, lorsqu’il l’avait surprise en train de voler les papiers.