Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/369

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de cet abandon. Pourtant, comme elle ramassait les débris des dossiers, avant de retourner dans la chambre, elle eut une joie, celle de reconnaître tout d’un coup, sur la table, l’Arbre généalogique, étalé tranquillement et que les deux femmes n’y avaient pas aperçu. C’était la seule épave entière, une relique sainte. Elle le prit, alla l’enfermer dans la commode de la chambre, avec les fragments à demi consumés.

Mais, quand elle se retrouva dans cette chambre auguste, une grande émotion l’envahit. Quel calme souverain, quelle paix immortelle, à côté de la sauvagerie destructive qui avait empli la salle voisine de fumée et de cendre ! Une sérénité sacrée tombait de l’ombre, les deux cierges brûlaient, d’une pure flamme immobile, sans un frisson. Et elle vit alors que la face de Pascal était devenue très blanche, dans le flot épandu de la barbe blanche et des cheveux blancs. Il dormait dans de la lumière, auréolé, souverainement beau. Elle se pencha, le baisa encore, sentit à ses lèvres le froid de ce visage de marbre, aux paupières closes, rêvant son rêve d’éternité. Sa douleur fut si grande de n’avoir pu sauver l’œuvre dont il lui avait laissé la garde, qu’elle tomba à deux genoux, en sanglotant. Le génie venait d’être violé, il lui semblait que le monde allait être détruit, dans cet anéantissement farouche de toute une vie de travail.