Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/55

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Pascal entrait dans la salle, afin de piquer Lafouasse. On entendait leurs voix ; et ce dernier, très douillet malgré ses gros muscles, se plaignait que la piqûre fût douloureuse ; mais, enfin, on pouvait bien souffrir un peu, pour acheter de la bonne santé. Ensuite, il se fâcha, força le docteur à accepter un verre de quelque chose. La demoiselle ne lui ferait pas l’affront de refuser du sirop. Il porta une table dehors, il fallut absolument trinquer avec lui.

— À votre santé, monsieur Pascal, et à la santé de tous les pauvres bougres, à qui vous rendez le goût du pain !

Souriante, Clotilde songeait aux commérages dont lui avait parlé Martine, à ce père Boutin qu’on accusait le docteur d’avoir tué. Il ne tuait donc pas tous ses malades, sa médication faisait donc de vrais miracles ? Et elle retrouvait sa foi en son maître, dans cette chaleur d’amour qui lui remontait au cœur. Quand ils partirent, elle était revenue à lui tout entière, il pouvait la prendre, l’emporter, disposer d’elle, à son gré.

Mais, quelques minutes auparavant, sur le banc de pierre, elle avait rêvé à une confuse histoire, en regardant le moulin à vapeur. N’était-ce point là, dans ces bâtiments noirs de charbon et blancs de farine aujourd’hui, que s’était passé autrefois un drame de passion ? Et l’histoire lui revenait, des détails donnés par Martine, des allusions faites par le docteur lui-même, toute une aventure amoureuse et tragique de son cousin, l’abbé Serge Mouret, alors curé des Artaud, avec une adorable fille, sauvage et passionnée, qui habitait le Paradou.

Ils suivaient de nouveau la route, et Clotilde s’arrêta, montrant de la main la vaste étendue morne, des chaumes, des cultures plates, des terrains encore en friche.

— Maître, est-ce qu’il n’y avait pas là un grand jardin ? ne m’as-tu pas conté cette histoire ?