Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/56

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Pascal, dans la joie de cette bonne journée, eut un tressaillement, un sourire d’une tendresse infiniment triste.

— Oui, oui, le Paradou, un jardin immense, des bois, des prairies, des vergers, des parterres, et des fontaines, et des ruisseaux qui se jetaient dans la Viorne… Un jardin abandonné depuis un siècle, le jardin de la Belle au Bois dormant, où la nature était redevenue souveraine… Et, tu le vois, ils l’ont déboisé, défriché, nivelé, pour le diviser en lots et le vendre aux enchères. Les sources elles-mêmes se sont taries, il n’y a plus, là-bas, que ce marais empoisonné… Ah ! quand je passe par ici, c’est un grand crève-cœur !

Elle osa demander encore :

— N’est-ce point dans le Paradou que mon cousin Serge et ta grande amie Albine se sont aimés ?

Mais il ne la savait plus là, il continua, les yeux au loin, perdus dans le passé.

— Albine, mon Dieu ! je la revois, dans le coup de soleil du jardin, comme un grand bouquet d’une odeur vivante, la tête renversée, la gorge toute gonflée de gaieté, heureuse de ses fleurs, des fleurs sauvages tressées parmi ses cheveux blonds, nouées à son cou, à son corsage, à ses bras minces, nus et dorés… Et, quand elle se fut asphyxiée, au milieu de ses fleurs, je la revois morte, très blanche, les mains jointes, dormant avec un sourire, sur sa couche de jacinthes et de tubéreuses… Une morte d’amour, et comme Albine et Serge s’étaient aimés dans le grand jardin tentateur, au sein de la nature complice ! et quel flot de vie emportant tous les faux liens, et quel triomphe de la vie !

Clotilde, troublée, à cet ardent murmure de paroles, le regardait fixement. Jamais elle ne s’était permis de lui parler d’une autre histoire qui courait, l’unique et dis-