Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/81

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Puis, comme il retrouvait Clotilde dans le vestibule, où elle accrochait son chapeau et son ombrelle, il lui dit à demi-voix :

— Tu sais que ton frère m’inquiète.

— Comment ça ?

— Je l’ai bien regardé, je n’aime pas la façon dont il marche. Ça ne m’a jamais trompé… Enfin, c’est un garçon que l’ataxie menace.

Elle devint toute pâle, elle répéta :

— L’ataxie.

Une cruelle image s’était levée, celle d’un voisin, un homme jeune encore, que, pendant dix ans, elle avait vu traîné par un domestique, dans une petite voiture. N’était-ce pas le pire des maux, l’infirmité, le coup de hache qui sépare un vivant de la vie ?

— Mais, murmura-t-elle, il ne se plaint que de rhumatismes.

Pascal haussa les épaules ; et, mettant un doigt sur ses lèvres, il passa dans la salle à manger, où déjà Félicité et Maxime étaient assis.

Le dîner fut très amical. La brusque inquiétude, née au cœur de Clotilde, la rendit tendre pour son frère, qui se trouvait placé près d’elle. Gaiement, elle le soignait, le forçait à prendre les meilleurs morceaux. Deux fois, elle rappela Martine, qui passait les plats trop vite. Et Maxime, de plus en plus, était séduit par cette sœur si bonne, si bien portante, si raisonnable, dont le charme l’enveloppait comme d’une caresse. Elle le conquérait à un tel point, que, peu à peu, un projet, vague d’abord, se précisait en lui. Puisque son fils, le petit Charles, l’avait tant effrayé avec sa beauté de mort, son air royal d’imbécillité maladive, pourquoi n’emmènerait-il pas sa sœur Clotilde ? L’idée d’une femme dans sa maison le terrifiait bien, car il les redoutait toutes, ayant joui d’elles