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LE VENTRE DE PARIS.

même maison, rue Pirouette, étaient des amies intimes, très-liées par une pointe de rivalité qui les faisait s’occuper l’une de l’autre, continuellement. Dans le quartier, on disait la belle Normande, comme on disait la belle Lisa. Cela les opposait, les comparait, les forçait à soutenir chacune sa renommée de beauté. En se penchant un peu, la charcutière, de son comptoir, apercevait dans le pavillon, en face, la poissonnière, au milieu de ses saumons et de ses turbots. Elles se surveillaient toutes deux. La belle Lisa se serrait davantage dans ses corsets. La belle Normande ajoutait des bagues à ses doigts et des nœuds à ses épaules. Quand elles se rencontraient, elles étaient très-douces, très-complimenteuses, l’œil furtif sous la paupière à demi close, cherchant les défauts. Elles affectaient de se servir l’une chez l’autre et de s’aimer beaucoup.

— Dites, c’est bien demain soir que vous faites le boudin ? demanda la Normande de son air riant.

Lisa resta froide. La colère, très-rare chez elle, était tenace et implacable. Elle répondit oui, sèchement, du bout des lèvres.

— C’est que, voyez-vous, j’adore le boudin chaud, quand il sort de la marmite… Je viendrai vous en chercher.

Elle avait conscience du mauvais accueil de sa rivale. Elle regarda Florent, qui semblait l’intéresser ; puis, comme elle ne voulait pas s’en aller sans dire quelque chose, sans avoir le dernier mot, elle eut l’imprudence d’ajouter :

— Je vous en ai acheté avant-hier, du boudin… Il n’était pas bien frais.

— Pas bien frais ! répéta la charcutière, toute blanche, les lèvres tremblantes.

Elle se serait peut-être contenue encore, pour que la Normande ne crût pas qu’elle prenait du dépit, à cause de son nœud de dentelle. Mais on ne se contentait pas de l’espionner, on venait l’insulter, cela dépassait la mesure. Elle