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LES ROUGON-MACQUART.

se courba, les poings sur son comptoir ; et, d’une voix un peu rauque :

— Dites donc, la semaine dernière, quand vous m’avez vendu cette paire de soles, vous savez, est-ce que je suis allée vous dire qu’elles étaient pourries devant le monde !

— Pourries !… mes soles pourries !… s’écria la poissonnière, la face empourprée.

Elles restèrent un instant suffoquées, muettes et terribles, au-dessus des viandes. Toute leur belle amitié s’en allait ; un mot avait suffi pour montrer les dents aiguës sous le sourire.

— Vous êtes une grossière, dit la belle Normande. Si jamais je remets les pieds ici, par exemple !

— Allez donc, allez donc, dit la belle Lisa. On sait bien à qui on a affaire.

La poissonnière sortit, sur un gros mot qui laissa la charcutière toute tremblante. La scène s’était passée si rapidement, que les trois hommes, abasourdis, n’avaient pas eu le temps d’intervenir. Lisa se remit bientôt. Elle reprenait la conversation, sans faire aucune allusion à ce qui venait de se passer, lorsque Augustine, la fille de boutique, rentra de course. Alors, elle dit à Gavard, en le prenant en particulier, de ne pas rendre réponse à monsieur Verlaque ; elle se chargeait de décider son beau-frère, elle demandait deux jours, au plus. Quenu retourna à la cuisine. Comme Gavard emmenait Florent, et qu’ils entraient prendre un vermouth chez monsieur Lebigre, il lui montra trois femmes, sous la rue couverte, entre le pavillon de la marée et le pavillon de la volaille.

— Elles en débitent ! murmura-t-il, d’un air envieux.

Les Halles se vidaient, et il y avait là, en effet, mademoiselle Saget, madame Lecœur et la Sarriette, au bord du trottoir. La vieille fille pérorait.

— Quand je vous le disais, madame Lecœur, votre beau-