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LES ROUGON-MACQUART.

— Il serait peut-être temps d’aller nous placer, dit timidement M. Charbonnel, qui s’ennuyait d’être assis.

Madame Charbonnel s’était levée, ramenant son châle jaune sur son cou.

— Sans doute, murmura-t-elle. Vous vouliez arriver des premiers, et nous restons là, à laisser passer tout le monde devant nous.

Mais Gilquin se fâcha. Il jura, en tapant de son poing la petite table de zinc. Est-ce qu’il ne connaissait pas son Paris ? Et, pendant que madame Charbonnel, intimidée, retombait sur sa chaise, il cria au garçon de café :

— Jules, une absinthe et des cigares !

Puis, quand il eut trempé ses grosses moustaches dans son absinthe, il le rappela, furieusement.

— Est-ce que tu te fiches de moi ? Veux-tu bien m’emporter cette drogue et me servir l’autre bouteille, celle de vendredi !… J’ai voyagé pour les liqueurs, mon vieux. On ne met pas dedans Théodore.

Il se calma, lorsque le garçon, qui semblait avoir peur de lui, lui eut apporté la bouteille. Alors, il donna des tapes amicales sur les épaules des Charbonnel, il les appela papa et maman.

— Quoi donc ! maman, les petons nous démangent ? Allez, vous avez le temps de les user, d’ici à ce soir !… Voyons, que diable ! mon gros père, est-ce que nous ne sommes pas bien, devant ce café ? Nous sommes assis, nous regardons passer le monde… Je vous dis que nous avons le temps. Faites-vous servir quelque chose.

— Merci, nous avons notre suffisance, déclara M. Charbonnel.

Gilquin venait d’allumer un cigare. Il se renversait, les pouces aux entournures de son gilet, bombant sa poitrine, se dandinant sur sa chaise. Une béatitude noyait ses yeux. Tout d’un coup, il eut une idée.