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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

— Vous ne savez pas ? cria-t-il, eh bien ! demain matin, à sept heures, je suis chez vous et je vous emmène, je vous fais voir toute la fête. Hein ! voilà qui est gentil.

Les Charbonnel se regardaient, très-inquiets. Mais, lui, expliquait le programme tout au long. Il avait une voix de montreur d’ours faisant un boniment. Le matin, déjeuner au Palais-Royal et promenade dans la ville. L’après-midi, à l’esplanade des Invalides, représentations militaires, mâts de cocagne, trois cents ballons perdus emportant des cornets de bonbons, grand ballon avec pluie de dragées. Le soir, dîner chez un marchand de vin du quai de Billy qu’il connaissait, feu d’artifice dont la pièce principale devait représenter un baptistère, flânerie au milieu des illuminations. Et il leur parla de la croix de feu qu’on hissait sur l’hôtel de la Légion d’honneur, du palais féerique de la place de la Concorde qui nécessitait l’emploi de neuf cent cinquante mille verres de couleur, de la tour Saint-Jacques dont la statue, en l’air, semblait une torche allumée. Comme les Charbonnel hésitaient toujours, il se pencha, il baissa la voix.

— Puis, en rentrant, nous nous arrêterons dans une crèmerie de la rue de Seine, où l’on mange de la soupe au fromage épatante.

Alors, les Charbonnel n’osèrent plus refuser. Leurs yeux arrondis exprimaient à la fois une curiosité et une épouvante d’enfant. Ils se sentaient devenir la chose de ce terrible homme. Madame Charbonnel se contenta de murmurer :

— Ah ! ce Paris, ce Paris !… Enfin, puisque nous y sommes, il faut bien tout voir. Mais si vous saviez, monsieur Gilquin, comme nous étions tranquilles à Plassans ! J’ai là-bas des conserves qui se perdent, des confitures, des cerises à l’eau-de-vie, des cornichons…