Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
12
LES ROUGON-MACQUART.

monter à son banc. M. Kahn haussa les épaules, et s’adressant à M. La Rouquette :

— Mais, j’y songe, vous devriez être au courant, vous ! Madame de Lorentz, votre sœur, ne vous raconte donc rien ?

— Oh ! ma sœur est plus muette encore que monsieur de Combelot, dit le jeune député en riant. Depuis qu’elle est dame du palais, elle a une gravité de ministre… Pourtant hier, elle m’assurait que la démission serait acceptée… À ce propos, une bonne histoire. On a envoyé, paraît-il, une dame pour fléchir Rougon. Vous ne savez pas ce qu’il a fait, Rougon ? Il a mis la dame à la porte ; notez qu’elle était délicieuse.

— Rougon est chaste, déclara solennellement M. Béjuin.

M. La Rouquette fut pris d’un fou rire. Il protestait ; il aurait cité des faits, s’il avait voulu.

— Ainsi, murmura-t-il, madame Correur…

— Jamais ! dit M. Kahn, vous ne connaissez pas cette histoire.

— Eh bien, la belle Clorinde alors !

— Allons donc ! Rougon est trop fort pour s’oublier avec cette grande diablesse de fille.

Et ces messieurs se rapprochèrent, s’enfonçant dans une conversation risquée, à mots très-crus. Ils dirent les anecdotes qui circulaient sur ces deux Italiennes, la mère et la fille, moitié aventurières et moitié grandes dames, qu’on rencontrait partout, au milieu de toutes les cohues : chez les ministres, dans les avant-scènes des petits théâtres, sur les plages à la mode, au fond des auberges perdues. La mère, assurait-on, sortait d’un lit royal ; la fille, avec une ignorance de nos conventions françaises qui faisait d’elle « une grande diablesse » originale et fort mal élevée, crevait des chevaux à la course, montrait