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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

tenait, d’ailleurs, les livres en horreur. Dès qu’elle s’entêtait à lire, elle devait se mettre au lit, avec des crises de nerf. Elle ne comprenait pas ce qu’elle lisait. Quand Rougon lui eut dit que l’écrivain reçu la veille était un ennemi de l’empereur, et que son discours fourmillait d’allusions abominables, elle resta consternée.

— Il avait l’air bon homme pourtant, déclara-t-elle.

Rougon, à son tour, tonnait contre les livres. Il venait de paraître un roman, surtout, qui l’indignait : une œuvre de l’imagination la plus dépravée, affectant un souci de la vérité exacte, traînant le lecteur dans les débordements d’une femme hystérique. Ce mot d’« hystérique » parut lui plaire, car il le répéta trois fois. Clorinde lui en ayant demandé le sens, il refusa de le donner, pris d’une grande pudeur.

— Tout peut se dire, continua-t-il ; seulement, il y a une façon de tout dire… Ainsi, dans l’administration, on est souvent obligé d’aborder les sujets les plus délicats. J’ai lu des rapports sur certaines femmes, par exemple, vous me comprenez ? eh bien ! des détails très précis s’y trouvaient consignés, dans un style clair, simple, honnête. Cela restait chaste, enfin !… Tandis que les romanciers de nos jours ont adopté un style lubrique, une façon de dire les choses qui les font vivre devant vous. Ils appellent ça de l’art. C’est de l’inconvenance, voilà tout.

Il prononça encore le mot « pornographie », et alla jusqu’à nommer le marquis de Sade, qu’il n’avait jamais lu, d’ailleurs. Pourtant, tout en parlant, il manœuvrait avec une grande habileté pour passer derrière le fauteuil de Clorinde, sans qu’elle le remarquât. Celle-ci, les yeux perdus, murmurait :

— Oh ! moi, les romans, je n’en ai jamais ouvert un seul. C’est bête, tous ces mensonges… Vous ne connais-