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LES ROUGON-MACQUART.

sez pas Léonora la bohémienne. Ça, c’est gentil. J’ai lu ça en italien, quand j’étais petite. On y parle d’une jeune fille qui épouse un seigneur à la fin. Elle est prise d’abord par des brigands…

Mais un léger grincement, derrière elle, lui fit vivement tourner la tête, comme éveillée en sursaut.

— Que faites-vous donc là ? demanda-t-elle.

— Je baisse le store, répondit Rougon. Le soleil doit vous incommoder.

Elle se trouvait, en effet, dans une nappe de soleil, dont les poussières volantes doraient d’un duvet lumineux le drap tendu de son amazone.

— Voulez-vous bien laisser le store ! cria-t-elle. J’aime le soleil, moi ! Je suis comme dans un bain.

Et, très-inquiète, elle se souleva à demi, elle jeta un regard dans le jardin, pour voir si le jardinier était toujours là. Quand elle l’eut retrouvé, de l’autre côté de la corbeille, accroupi, ne montrant que le dos rond de son bourgeron bleu, elle se rassit, tranquillisée, souriante. Rougon, qui avait suivi la direction de son regard, lâcha le store, pendant qu’elle le plaisantait. Il était donc comme les hiboux, il cherchait l’ombre. Mais il ne se fâchait pas, il marchait au milieu du cabinet, sans montrer le moindre dépit. Son grand corps avait des mouvements ralentis d’ours rêvant quelque traîtrise.

Puis, comme il se trouvait à l’autre extrémité de la pièce, près d’un large canapé au-dessus duquel une grande photographie était pendue, il l’appela :

— Venez donc voir, dit-il. Vous ne connaissez pas mon dernier portrait ?

Elle s’allongea davantage dans le fauteuil, elle répondit, sans cesser de sourire :

— Je le vois très bien d’ici… Vous me l’avez déjà montré, d’ailleurs.