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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

Il ne se découragea pas. Il était allé fermer le store de l’autre fenêtre, et il inventa encore deux ou trois prétextes, pour l’attirer dans ce coin d’ombre discrète, où il faisait très-bon, disait-il. Elle, dédaignant ce piège grossier, ne répondait même plus, se contentait de refuser de la tête. Alors, voyant qu’elle avait compris, il revint se planter devant elle, les mains nouées, cessant de ruser, la provoquant en face.

— J’oubliais !… Je veux vous montrer Monarque, mon nouveau cheval. Vous savez que j’ai fait un échange… Vous me donnerez votre opinion sur lui, vous qui aimez les chevaux.

Elle refusa encore. Mais il insista ; l’écurie n’était qu’à deux pas ; cela demanderait cinq minutes au plus. Puis, comme elle disait toujours non, il laissa échapper à demi-voix, d’un accent presque méprisant :

— Ah ! vous n’êtes pas brave !

Ce fut comme un coup de fouet. Elle se mit debout, sérieuse, un peu pâle.

— Allons voir Monarque, dit-elle simplement.

Elle rejetait déjà la traîne de son amazone sur son bras gauche. Elle lui avait planté ses yeux droit dans les yeux. Pendant un instant, ils se regardèrent, si profondément, qu’ils lisaient leurs pensées. C’était un défi offert et accepté, sans ménagement aucun. Et elle descendit le perron la première, tandis qu’il boutonnait, d’un geste machinal, le veston d’appartement dont il était vêtu. Mais elle n’avait pas fait trois pas dans l’allée, qu’elle s’arrêta.

— Attendez, dit-elle.

Elle remonta dans le cabinet. Quand elle revint, elle balançait légèrement, du bout des doigts, sa cravache, qu’elle avait oubliée derrière un coussin du canapé. Rougon regarda la cravache d’un regard oblique ; puis,