Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/147

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
147
SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

trouble. Mais elle, sans s’occuper de lui davantage, réfléchissait.

— Et quel est le mari ? murmura-t-elle.

— Devinez ?

Elle retrouva un faible sourire, battant le bureau de ses doigts, haussant les épaules. Elle savait bien qui.

— Il est si bête ! dit-elle à demi-voix.

Rougon défendit Delestang. C’était un homme très comme il faut, dont elle ferait tout ce qu’elle voudrait. Il donna des détails sur sa santé, sur sa fortune, sur ses habitudes. D’ailleurs, il s’engageait à les servir, elle et lui, de toute son influence, s’il remontait jamais au pouvoir. Delestang n’avait peut-être pas une intelligence supérieure ; mais il ne serait déplacé dans aucune situation.

— Oh ! il remplit le programme, je vous l’accorde, dit-elle en riant franchement.

Puis, après un nouveau silence :

— Mon Dieu ! je ne dis pas non, vous êtes peut-être dans le vrai… Monsieur Delestang ne me déplaît pas.

Elle le regardait, en prononçant ces derniers mots. Elle croyait avoir remarqué, à plusieurs reprises, qu’il était jaloux de Delestang. Mais elle ne vit pas tressaillir un pli de sa face. Il avait eu réellement les poings assez gros pour tuer le désir, en deux jours. Au contraire, il parut enchanté du succès de sa démarche ; et il recommença à lui étaler les avantages d’un pareil mariage, comme s’il traitait, en avoué retors, une affaire particulièrement bonne pour elle. Il lui avait pris les mains, les lui tapotait avec une grande amitié, d’un air de complice heureux, répétant :

— Ça m’est venu cette nuit. J’ai pensé tout de suite : Nous voilà sauvés !… Je ne veux pas que vous restiez fille, moi ! Vous êtes la seule femme qui me sembliez mé-