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LES ROUGON-MACQUART.

riter un mari. Delestang arrange l’affaire. Avec Delestang, nous gardons nos coudées franches.

Et il ajouta gaiement :

— J’ai conscience que vous me récompenserez, en me faisant assister à des choses extraordinaires.

— Monsieur Delestang connaît-il vos projets ? demanda-t-elle.

Il resta un moment surpris, comme si elle avait laissé échapper là une parole qu’il n’attendait pas d’elle ; puis, il répondit avec tranquillité :

— Non, c’est inutile. On lui expliquera ça plus tard.

Elle s’était remise, depuis un instant, à cacheter ses lettres. Quand elle avait posé sur la cire un large cachet sans initiale, elle retournait l’enveloppe, elle écrivait l’adresse, lentement, de sa grosse écriture. À mesure qu’elle jetait les lettres à sa droite, Rougon tâchait de lire les suscriptions. C’étaient, pour la plupart, des noms d’hommes politiques italiens très-connus. Elle dut s’apercevoir de son indiscrétion, car elle dit, en se levant et en emportant sa correspondance pour la faire mettre à la poste :

— Lorsque maman a ses migraines, c’est moi qui écris là-bas.

Rougon, resté seul, se promena dans la petite pièce. Sur le cartonnier, il lut, comme chez les hommes d’affaires : Quittances, Lettres à classer, Dossiers A. Il sourit en apercevant, au milieu des paperasses du bureau, un corset qui traînait, usé, craqué à la taille. Il y avait encore un savon dans la coquille de l’encrier, et des bouts de satin bleu à terre, les rognures de quelque raccommodage de jupe, qu’on avait oublié de balayer. La porte de la chambre à coucher se trouvant entre-bâillée, il eut la curiosité d’allonger la tête ; mais les persiennes étaient fermées, il y faisait si noir, qu’il aperçut seulement la