Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/160

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
160
LES ROUGON-MACQUART.

Alors, on parla de la mésaventure de M. Kahn. Il avait eu l’imprudence, pendant la dernière session, de critiquer assez vivement un projet de loi déposé par le gouvernement ; ce projet de loi, qui créait dans un département voisin une concurrence redoutable, menaçait de ruiner ses hauts fourneaux de Bressuire. Pourtant, il ne croyait pas avoir dépassé les bornes d’une légitime défense, lorsque, à son retour dans les Deux-Sèvres, où il allait soigner son élection, il avait appris, de la bouche même du préfet, qu’il n’était plus candidat officiel ; il cessait de plaire, le ministre venait de désigner un avoué de Niort, homme d’une grande médiocrité. C’était un coup de massue.

Rougon donnait des détails, quand M. Kahn entra, suivi de Du Poizat. Tous les deux étaient arrivés par le train de sept heures. Ils n’avaient pris que le temps de dîner.

— Eh bien, qu’en pensez-vous ? dit M. Kahn au milieu du salon, pendant qu’on s’empressait autour de lui. Me voilà un révolutionnaire, maintenant !

Du Poizat s’était jeté dans un fauteuil, d’un air harassé.

— Une jolie campagne ! cria-t-il, un joli gâchis ! C’est à dégoûter tous les honnêtes gens !

Mais il fallut que M. Kahn racontât l’affaire longuement. Lorsqu’il avait débarqué là-bas, il disait avoir senti, dès ses premières visites, une sorte d’embarras chez ses meilleurs amis. Quant au préfet, M. de Langlade, c’était un homme de mœurs dissolues, qu’il accusait d’être au mieux avec la femme de l’avoué de Niort, le nouveau député. Pourtant, ce Langlade lui avait appris sa disgrâce d’une façon fort aimable, en fumant un cigare, au dessert d’un déjeuner fait à la préfecture. Et il rapporta la conversation d’un bout à l’autre. Le pis était