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LES ROUGON-MACQUART.

Rougon pourtant obtint de Clorinde qu’elle s’habillât à peu près comme tout le monde. Elle était très-fine, d’ailleurs, de cette finesse des fous lucides qui se font raisonnables en présence des étrangers. Il la rencontrait dans certaines maisons, l’air réservé, laissant son mari se mettre en avant, tout à fait convenable au milieu de l’admiration soulevée par sa grande beauté. Chez elle, il trouvait souvent M. de Plouguern ; et elle plaisantait entre eux deux, sous le déluge de leur morale, tandis que le vieux sénateur, plus familier, lui tapotait les joues, au grand ennui de Rougon ; mais il n’osa jamais dire son sentiment à ce sujet. Il fut plus hardi à l’égard de Luigi Pozzo, le secrétaire du chevalier Rusconi. Il l’avait aperçu plusieurs fois sortant de chez elle à des heures singulières. Quand il laissa entendre à la jeune femme combien cela pouvait la compromettre, elle leva sur lui un de ses beaux regards de surprise ; puis, elle éclata de rire. Elle se moquait pas mal de l’opinion ! En Italie, les femmes recevaient les hommes qui leur plaisaient, personne ne songeait à de vilaines choses. Du reste, Luigi ne comptait pas ; c’était un cousin ; il lui apportait des petits gâteaux de Milan, qu’il achetait dans le passage Colbert.

Mais la politique restait la grosse préoccupation de Clorinde. Depuis qu’elle avait épousé Delestang, toute son intelligence s’employait à des affaires louches et compliquées, dont personne ne connaissait au juste l’importance. Elle contentait là son besoin d’intrigue, si longtemps satisfait dans ses campagnes de séduction contre les hommes de grand avenir ; et elle semblait s’être ainsi préparée à quelque besogne plus vaste en tendant jusqu’à vingt-deux ans ses piéges de fille à marier. Maintenant, elle entretenait une correspondance très-suivie avec sa mère, fixée à Turin. Elle allait presque chaque