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LES ROUGON-MACQUART.

vant les choses folles mêlées à son plan. Pour lui, elle avait simplement trouvé là une originalité de haut goût. Il tenait à ne pas modifier son opinion sur les femmes. Clorinde, d’ailleurs, acceptait volontiers le rôle de disciple. Lorsqu’elle venait le voir rue Marbeuf, elle se faisait très-humble, très-soumise, le questionnait, l’écoutait avec une ardeur de néophyte désireux de s’instruire. Et lui, souvent, oubliait à qui il parlait, exposait son système de gouvernement, s’engageait dans les aveux les plus nets. Peu à peu, ces conversations devinrent une habitude ; il la prit pour confidente, se soulagea du silence qu’il observait avec ses meilleurs amis, la traita en élève discrète dont la respectueuse admiration le charmait.

Pendant les mois d’août et de septembre, Clorinde multiplia ses visites. Elle venait maintenant jusqu’à trois et quatre fois par semaine. Jamais elle n’avait montré une telle tendresse de disciple. Elle flattait beaucoup Rougon, s’extasiait sur son génie, regrettait les grandes choses qu’il aurait accomplies, s’il ne s’était pas mis à l’écart. Un jour, dans une minute de lucidité, il lui demanda en riant :

— Vous avez donc bien besoin de moi ?

— Oui, répondit-elle hardiment.

Mais elle se hâta de reprendre son air d’extase émerveillée. La politique l’amusait plus qu’un roman, disait-elle. Et, quand il tournait le dos, elle ouvrait tout grands ses yeux, où brûlait une courte flamme, quelque ancienne pensée de rancune toujours vivante. Souvent, elle laissait ses mains dans les siennes, comme si elle se fût sentie trop faible encore ; et, les poignets frémissants, elle semblait attendre de lui avoir volé assez de sa force pour l’étrangler.

Ce qui inquiétait surtout Clorinde, c’était la lassitude