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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

croissante de Rougon. Elle le voyait s’endormir au fond de son ennui. D’abord, elle avait parfaitement distingué ce qu’il pouvait y avoir de joué dans son attitude. Mais, à présent, malgré toute sa finesse, elle commençait à le croire vraiment découragé. Ses gestes s’alourdissaient, sa voix devenait molle ; et, certains jours, il se montrait d’une telle indifférence, d’une si grande bonhomie, que la jeune femme, épouvantée, se demandait s’il n’allait pas finir par accepter tranquillement sa retraite au Sénat d’homme politique fourbu.

Vers la fin de septembre, Rougon parut très-préoccupé. Puis, dans une de leurs causeries habituelles, il lui avoua qu’il nourrissait un grand projet. Il s’ennuyait à Paris, il avait besoin d’air. Et, tout d’un trait, il parla : c’était un vaste plan de vie nouvelle, un exil volontaire dans les Landes, le défrichement de plusieurs lieues carrées de terrain, la fondation d’une ville au milieu de la contrée conquise. Clorinde, toute pâle, l’écoutait.

— Mais votre situation ici, vos espérances ! cria-t-elle.

Il eut un geste de dédain, en murmurant :

— Bah ! des châteaux en Espagne !… Voyez-vous, décidément, je ne suis pas fait pour la politique.

Et il reprit son rêve caressé d’être un grand propriétaire, avec des troupeaux de bêtes sur lesquels il régnerait. Mais, dans les Landes, son ambition grandissait ; il devenait le roi conquérant d’une terre nouvelle ; il avait un peuple. Ce furent des détails interminables. Depuis quinze jours, sans rien dire, il lisait des ouvrages spéciaux. Il desséchait des marais, combattait avec des machines puissantes l’empierrement du sol, arrêtait la marche des dunes par des plantations de pins, dotait la France d’un coin de fertilité miraculeux. Toute son activité endormie, toute sa force de géant inoccupé, se réveillaient dans cette création ; ses poings serrés sem-