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LES ROUGON-MACQUART.

degré de cuisson d’un quartier de chevreuil à la broche, qu’on venait de servir. Il y avait eu un potage à la Créci, un saumon au bleu, un filet de bœuf sauce échalotte, des poulardes à la financière, des perdrix aux choux montées, de petits pâtés aux huîtres.

— Je parie que nous allons avoir des cardons au jus et des concombres à la crème ! dit le jeune député.

— J’ai vu des écrevisses, déclara poliment Delestang.

Mais comme les cardons au jus et les concombres à la crème apparaissaient, M. La Rouquette triompha bruyamment. Il ajouta qu’il connaissait les goûts de l’impératrice. Cependant, le romancier regardait le peintre, avec un léger claquement de langue.

— Hein ? cuisine médiocre ? murmura-t-il.

Le peintre eut une moue approbative. Puis, après avoir bu, il dit à son tour :

— Les vins sont exquis.

À ce moment, un rire brusque de l’impératrice sonna si haut, que tout le monde se tut. Des têtes s’allongeaient, pour savoir. L’impératrice causait avec l’ambassadeur d’Allemagne, placé à sa droite ; elle riait toujours, en prononçant des mots entrecoupés, qu’on n’entendait pas. Dans le silence curieux qui s’était fait, un cornet à pistons, accompagné en sourdine par les basses, jouait un solo, une phrase mélodique de romance sentimentale. Et, peu à peu, le brouhaha grandit de nouveau. Les chaises se tournaient à demi, des coudes se posaient au bord de la nappe, des conversations intimes s’engageaient, au milieu d’une liberté de table d’hôte princière.

— Voulez-vous un petit four ? demanda M. de Plouguern.

Rougon refusa de la tête. Depuis un instant, il ne mangeait plus. On avait remplacé la vaisselle plate par de la porcelaine de Sèvres, décorée de fines peintures bleues