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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

et roses. Tout le dessert défila devant lui, sans qu’il acceptât autre chose qu’un peu de camembert. Il ne se contraignait plus, il regardait Clorinde et M. de Marsy en face, largement, espérant sans doute intimider la jeune femme. Mais celle-ci affectait une familiarité telle avec le comte, qu’elle semblait oublier où elle se trouvait, se croire au fond d’un étroit salon, à quelque souper fin de deux couverts. Sa grande beauté avait un éclat de tendresse extraordinaire. Et elle croquait des sucreries que le comte lui passait, elle le conquérait de son sourire continu, d’une façon impudemment tranquille. Des chuchotements s’élevaient autour d’eux.

La conversation étant tombée sur la mode, M. de Plouguern, par malice, interpella Clorinde au sujet de la nouvelle forme des chapeaux. Puis, comme elle feignait de n’avoir pas entendu, il se pencha pour adresser la même question à madame de Llorentz. Mais il n’osa pas, tant cette dernière lui parut formidable, avec ses dents serrées, son masque tragique de fureur jalouse. Clorinde, justement, venait d’abandonner sa main gauche à M. de Marsy, sous prétexte de lui montrer un camée antique, qu’elle avait au doigt ; et elle laissa sa main, le comte prit la bague, la remit ; ce fut presque indécent. Madame de Llorentz, qui jouait nerveusement avec une cuiller, cassa son verre à bordeaux, dont un domestique enleva vivement les éclats.

— Elles se prendront au chignon, c’est certain, dit le sénateur à l’oreille de Rougon. Les avez-vous surveillées ?… Mais du diable si je comprends le jeu de Clorinde ! Hein ? que veut-elle ?

Et, comme il levait les yeux sur son voisin, il fut très-surpris de l’altération de ses traits.

— Qu’avez-vous donc ? vous souffrez ?

— Non, répondit Rougon, j’étouffe un peu. Ces