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LES ROUGON-MACQUART.

dîners durent trop longtemps. Puis, il y a une odeur de musc, ici !

C’était la fin. Quelques dames mangeaient encore un biscuit, à demi renversées sur leurs chaises. Cependant, personne ne bougeait. L’empereur, muet jusque-là, venait de hausser la voix ; et, aux deux bouts de la table, les convives, qui avaient complétement oublié la présence de Sa Majesté, tendaient tout d’un coup l’oreille, d’un air de grande complaisance. Le souverain répondait à une dissertation de M. Beulin-d’Orchère contre le divorce. Puis, s’interrompant, il jeta un coup d’œil sur le corsage très-ouvert de la jeune dame américaine, assise à sa gauche, en disant de sa voix pâteuse :

— En Amérique, je n’ai jamais vu divorcer que les femmes laides.

Un rire courut parmi les convives. Cela parut un mot d’esprit très-fin, si délicat même, que M. La Rouquette s’ingénia à en découvrir les sens cachés. La jeune dame américaine crut sans doute y voir un compliment, car elle remercia en inclinant la tête, confuse. L’empereur et l’impératrice s’étaient levés. Il y eut un grand bruissement de jupes, un piétinement autour de la table, pendant que les huissiers et les valets de pied, rangés gravement contre les murs, restaient seuls corrects, au milieu de cette débandade de gens ayant bien dîné. Et le défilé s’organisa de nouveau, Leurs Majestés en tête, les invités venant à la file, espacés par les longues traînes, traversant la salle des gardes avec une solennité un peu essoufflée. Derrière eux, dans le plein jour des lustres, au-dessus du désordre encore tiède de la nappe, retentissaient les coups de grosse caisse de la musique militaire, achevant la dernière figure d’un quadrille.

Le café fut servi, ce soir-là, dans la galerie des Cartes. Un préfet du palais apporta la tasse de l’empereur sur