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LES ROUGON-MACQUART.

éclairant régulièrement la sévérité pompeuse de la salle. La lumière descendait les gradins en une large nappe rougie, d’un éclat sombre, allumée çà et là d’un reflet rose, aux encoignures des bancs vides ; tandis que, derrière le président, la nudité des statues et des sculptures arrêtait des pans de clarté blanche.

Un député, au troisième banc, à droite, était resté debout, dans l’étroit passage. Il frottait de la main son rude collier de barbe grisonnante, l’air préoccupé. Et, comme un huissier montait, il l’arrêta et lui adressa une question à demi-voix.

— Non, monsieur Kahn, répondit l’huissier, monsieur le président du Conseil d’État n’est pas encore arrivé.

Alors, M. Kahn s’assit. Puis, se tournant brusquement vers son voisin de gauche :

— Dites donc, Béjuin, demanda-t-il, est-ce que vous avez vu Rougon, ce matin ?

M. Béjuin, un petit homme maigre, noir, de mine silencieuse, leva la tête, les regards inquiets, la tête ailleurs. Il avait tiré la planchette de son pupitre. Il faisait sa correspondance, sur du papier bleu à en-tête commercial, portant ces mots : Béjuin et Ce, cristallerie de Saint-Florent.

— Rougon ? répéta-t-il. Non, je ne l’ai pas vu. Je n’ai pas eu le temps de passer au Conseil d’État.

Et il se remit posément à sa besogne. Il consultait un carnet, il écrivait sa deuxième lettre, sous le bourdonnement confus du secrétaire, qui achevait la lecture du procès-verbal.

M. Kahn se renversa, les bras croisés. Sa figure aux traits forts, dont le grand nez bien fait trahissait une origine juive, restait maussade. Il regarda les rosaces d’or du plafond, s’arrêta au ruissellement d’une averse qui crevait en ce moment sur les vitres de la baie ; puis,